La révolution

(oh oui, un souvenir)

Comme le cours d’arts plastiques est annulé, nous décidons de nous installer à la cantine pour parler de sexe.

En ce début d’après-midi, seuls quelques adultes s’affairent aux corvées de nettoyage et dans la salle règne un calme qui me trouble, peut-être par contraste avec le brouhaha incessant de l’heure du déjeuner, à laquelle nous avons coutume de nous y rendre et où les steaks et les petits pois ont coutume de voler. En comité restreint, nous en venons à faire un tour de table, entre hommes, afin que chacun puisse exposer sa conception d’une première fois idéale.

Julien, assez sûr de lui, ouvre la marche et nous dévoile son désir.
« Moi je lui roule une pelle … » On l’écoute alors avec grande attention …
« je la lève » … l’oeil rêveur …
« et j’la saute ! » … le regard à l’infini !

Après ces perspectives héroïques, Fabrice, plutôt versé dans le romantisme, nous parle lumière tamisée et dîner aux chandelles, pantalon moulant qu’on déboutonne avec les dents et culotte légère qu’on retire de la même manière.

Pour ma part, afin de minimiser mon temps de parole, je prétends d’un air pas trop concerné que je préfére laisser venir les choses comme elles viennent et puis qu’on verra ; ce modèle de sagesse et de concision est félicité par un bref silence et l’on invite les suivants à détailler leurs considérations sur l’origine du monde.

Quoi qu’il en soit, le tour de table est aujourd’hui révolu depuis longtemps, mais j’ai l’intuition que je suis le seul participant à me le rappeler encore dix ans après.